Declaration des ODDH Togo

Déclaration des Organisations  des Défenseurs des Droits de l’Homme contre l’impunité et le négationnisme des crimes de 2005 au Togo.

Depuis un certain temps, on assiste dans notre pays à une dégradation inquiétante de la
situation des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Les Organisations de Défense des Droits de l’Homme (ODDH) voudraient attirer l’attention
de l’opinion publique nationale et internationale sur ces situations qui ne sont pas de nature à garantir la consolidation de l’Etat de droit que le peuple togolais s’emploie à construire depuis quelques années.

A – Sur les propos negationnistes de Monsieur Abass Bonfoh

L’opinion générale a été consterné par les propos du Président de l’Assemblée Nationale,
Monsieur Abass BONFOH qui, dans une interview accordée au Journal « Tribune d’Afrique » dans sa parution du 16 Septembre 2010, a nié en bloc les évènements tragiques que le Togo a connus en avril 2005 allant jusqu’à affirmer qu’il n’y a avait pas eu de mort durant cette période. Face au tôlé suscité par ces propos négationnistes et révisionnistes et aux demandes de présentation de démission immédiate formulées par les ODDH, le Président de l’Assemblée Nationale, président de la République par intérim à l’époque des faits, a publié un communiqué le 30 Septembre 2010. Dans ce communiqué, loin de regretter ses propos et de démissionner, le président de l’Assemblée Nationale qui, entre temps, a limogé son chargé à la communication, dont il a dit qu’il était complice des journalistes pour le piéger, s’est plutôt fait passer pour la victime et s’est contenté de dire que ses propos ont été sortis de leur contexte.

Pour les ODDH, ces propos de monsieur Abass Bonfoh sont suffisamment graves et
traduisent une volonté d’effacer de l’histoire commune des Togolais des faits ayant entraîné des violations massives des droits de l’homme notamment des pertes de vies humains et des blessées graves.

B – Sur la detention arbitraire de Monsieur Sama Essohamlon

Le vendredi 09 juillet 2010, le Gouvernement Togolais a ordonné la suspension des activités du Réseau pour le Développement de la Masse sans Ressources (ReDéMaRe) et le 20 juillet 2010, Monsieur SAMA Essohamlom a été interpellés puis inculpé pour tentative
d’escroquerie et celle de faux et usage de faux.

Les informations recueillies par les organisations de défense des droits de l’homme auprès des avocats de Monsieur SAMA Essohamlom laissent transparaître des failles dans la mesure où:

  • d’une part, la procédure qui a conduit à l’inculpation du directeur de ReDéMaRe dans la mesure où ce dernier n’a pas été auditionné par le doyen des juges d’instruction avant d’être placé sous mandat de dépôt;
  • d’autre part, il est surprenant de constater que la chambre d’accusation, ayant ordonné l’annulation du procès verbal d’interrogatoire et son retrait du dossier judiciaire, n’ait pas ordonné la mise en liberté de Monsieur SAMA Essohamlon.

Tout en laissant aux spécialistes, le soin d’apprécier la qualité du modèle économique proposé par le GIE ReDéMaRe, les défenseurs des droits de l’homme dénoncent la justice de « deux poids deux mesures » dont son directeur et beaucoup de citoyens togolais sont régulièrement victimes.

C – Sur le regne de l’impunite et la justice de « deux poids deux mesures »

Alors que les premiers responsables de l’Etat font régulièrement part, dans leurs discours et interventions publiques, de leur volonté de lutte contre l’impunité et garantir une justice où tous les citoyens sont égaux devant la loi, on note la persistance de l’impunité.

Hormis le cas récent du président de l’assemblée nationale face auquel aucune mesure n’a été prise, l’actualité a été dominée ces dernières semaines par:

  • des menaces et intimidations avérées proférées par les agents de sécurité à l’encontre des citoyens;
  • des tirs par balles sur des populations manifestant pacifiquement avec, le 02 juillet 2010 un cas de décès dans des circonstances jusque là non élucidées;
  • des brimades à l’égard des journalistes.

Dans chacun de ces cas, les responsables de ces actes répréhensibles n’ont pas été amenés à en répondre devant les instances administratives ou judiciaires compétentes.

Au plan économique, des cas de détournements avérés notamment au Fond d’Entretien
Routier (FER) et dans l’institution de microfinance « Investir dans l’Humain » (IDH) ont,
entre autres, été signalées sans que des mesures idoines n’aient été prises à l’encontre des
auteurs.

Face donc au silence assourdissant des autorités, des démarches ont été multipliées par les
Organisations de Défense des Droits Humains mais aucune suite n’a été donnée jusqu’à ce
jour.

D – Sur la violation de la liberte de manifestation pacifique

Depuis un certains temps, les forces de l’ordre et de sécurité se livrent, sur ordre reçu, à une répression systématique et disproportionnée des manifestations pacifiques organisées par les partis politiques regroupés au sein du Front des Républicains pour l’Alternance et le
Changement (FRAC). On y a noté des cas de blessés, d’arrestations et de détentions
arbitraires, d’intimidations et des menaces. Des matériels appartenant aux manifestants et
même aux passants et riverains des lieux de manifestation, notamment des motos ont été
confisquées et actuellement gardées dans les locaux de la gendarmerie nationale.

D’autres mesures générales et permanentes ont été prises par le gouvernement et faisant
interdiction de manifester les jours ouvrables et dans les villes de l’intérieur du pays au mépris des droits et libertés juridiquement et constitutionnellement protégés.

E – Sur la lenteur des procedures dans les dossiers d’atteinte a la surete de l’etat

En avril 2005, les nommés da SILVEIRA Hermes Woamédé, Adjudant KPAKPO Kodjo,
Sergent AKAKPO Koami, Sergent FOLLY Kodjo, Caporal AMETEPE Yaovi et TUDZI
Kossi ont été interpellés et poursuivis pour atteinte à la sûreté intérieur de l’Etat. Certaines
ODDH avaient rencontré le chef de l’Etat qui a estimé à l’époque que ce dossier devra être
confié au Conseil Supérieur des Militaires une fois mis en place. Depuis lors, rien n’est fait et après plus de Cinq ans de détention, les prévenus encore présumés innocents, croupissent toujours en détention.

En Avril 2008, l’honorable Kpatcha Gnassingbé et 23 autres personnes (civils et militaires)
ont été interpellés et maintenus en détention pour tentative d’atteinte contre la sûreté
intérieure de l’Etat. Leurs différents lieux de détention restent difficilement accessibles, voire impossible à leurs familles et même à leurs conseils, au grand mépris des principes cardinaux et constitutionnels des droits de la défense.

Les ODDH dénoncent ces lenteurs procédurales, couplées des longues détentions préventives, des dépôts systématiques des magistrats du parquet qui ont pour conséquence la surpopulation des milieux carcéraux, avec l’insalubrité qui y règne.

Face à cette situation, les ODDH expriment leur exaspération et dénoncent solennellement:

1. Les propos négationnistes et révisionnistes du Président de l’Assemblée Nationale El Hadj Abass BONFOH;

  • Les cas d’arrestation et de détention arbitraires et la justice de deux poids deux mesures;
  • La persistance de l’impunité;
  • L’immixtion du pouvoir exécutif dans les fonctions judiciaires;
  • Les dépôts systématiques des magistrats du parquet, les lenteurs procédurales, les longues détentions préventives, la surpopulation des milieux carcéraux;
  • L’interdiction et la répression systématique et disproportionnée des manifestations pacifiques;
  • L’interdiction générale et permanente de manifester les jours ouvrables et dans les villes de l’intérieur du pays;
  • La violation des droits économiques, sociaux et culturels avec la flambée des prix des produits de première nécessité, consécutive à l’augmentation exagérée du prix des produits pétroliers;
  • La cherté du coût de la vie au Togo.

A cet effet, les ODDH recommandent instamment et vivement

Au Gouvernement

  • de rassurer les Togolais sur sa volonté politique de conduire à terme un véritable processus de réconciliation en prenant officiellement ses distances par rapport aux propos révisionniste du président de l’assemblée nationale;
  • De libérer sans conditions toutes les personnes arbitrairement détenues dont Monsieur SAMA Essohamlon;
  • de prendre des dispositions idoines pour que les responsables des menaces, exactions et crimes économiques répondent de leurs actes devant les instances compétentes;
  • De faire cesser les répressions et les interdictions des manifestations pacifiques des militants de l’opposition à Lomé et dans les villes de l’intérieur du pays;

1. De veiller à la restitution et sans délais, des matériels confisqués, notamment les motos, à leurs propriétaires;

2. De veiller à ce que tout le pouvoir d’achat des Togolais connaisse une amélioration
conséquente afin de leur permettre de jouir effectivement de leurs droits économiques,
sociaux et culturels.

Aux Députés à l’Assemblée Nationale

1. D’introduire sans délai une motion de destitution du Président de l’Assemblée Nationale
dont les propos négationnistes n’honorent pas l’institution qu’il dirige.

Elles réaffirment leur détermination à:

  • Rester mobilisées et éveillées vis-à-vis des violations des droits humains sur toute l’étendue du territoire national, afin de les dénoncer.
  • Saisir, au besoin, les instances internationales au sujet de tout acte contraire au respect des droits humains dont elles auraient connaissance;
  • à poursuivre sans relâche la lutte pour un Togo respectueux de la justice, la liberté et soucieux du bien-être de tous les citoyens.

Fait à Lomé, le 30 octobre 2010
LES ORGANISATIONS DE DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME
ACAT-Togo / ATDH / ATDPDH / CACIT / CTDDH / LTDH

Ont signé:
L’ACAT-TOGO, Me Jil-Benoît K. AFANGBEDJI
L’ATDH, Etsri H. CLUMSON-EKLU
L’ATDPDH, Mme Ayélé Mawouéna DOGBE
Le CACIT, Me Zeus Ata Messan AJAVON
La CTDDH, Abass TIDJANI
La LTDH, Me Raphaël N. KPANDE-ADZARE

Ampliations:

Ambassade de France
Ambassade des USA
Ambassade d’Allemagne
Délégation de l’UE au Togo
Organisation Internationale de la Francophonie
Haut Commissariat aux Droits de l’Homme (HCDH-TOGO)
Commission Nationale des Droits de l’Homme
Commission Vérité, Justice et Réconciliation
Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile
Ministère de la Justice, Chargé des Relations avec les Institutions de la République
Ministère des Droits de l’Homme, de la Consolidation de la Démocratie et de la Formation
Civique.