Burkina Faso : Le ROADDH dénonce un contre-terrorisme imprégné d’un génocide silencieux sur les peuls

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Le Réseau Ouest Africain des Défenseurs des Droits Humains (ROADDH) dont le Secrétariat est basé à Lomé au Togo dénonce un contre-terrorisme imprégné d’un génocide silencieux sur les peules au Burkina Faso. C’est à travers un communiqué rendu public ce jour, que l’organisation de défense des droits de l’homme attire l’attention des autorités burkinabés sur les régressions que connait le pays et propose des pistes de solutions pour pallier à cet état de fait au pays des hommes intègres.

Ci-dessous l’intégralité du communiqué du ROADDH

COMMUNIQUE DE PRESSE

Le Réseau Ouest Africain des Défenseurs des Droits Humains (ROADDH) dénonce un contre-terrorisme imprégné d’un génocide silencieux sur les peules au Burkina Faso. Depuis plus de cinq ans, le Burkina Faso fait face à des attaques terroristes menées par des groupes endogènes armés ou issus des pays voisins, où les populations et les forces de défense et de sécurité ont payé un lourd tribut. Des attaques, des enlèvements, des assassinats de populations et de corps habillés et le harcèlement subi par les agents de l’État ont entraîné des déplacements internes et internationaux massifs de populations occasionnant une crise humanitaire jamais connue dans le pays. Face à cette situation, les autorités burkinabés ont riposté en engageant les différentes composantes des Forces de défense et de sécurité (FDS) dans la lutte anti-terroriste. Cependant, aux côtés de celles-ci, il a été donné d’identifier des « groupes d’auto-défense », notamment les « Koglwéogo » et les « Dozo ». L’adoption par l’Assemblée Nationale d’une loi instituant le recrutement de « Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) », visant, selon le gouvernement, à « associer toutes les composantes de la société burkinabè à la lutte contre le terrorisme », le 21 janvier 2020 a permis à certains de ces acteurs de se convertir en VDP censés travailler sous la supervision des FDS et dans le strict respect des droits humains.

Alors que la mémoire collective demeure perturbée par les carnages occasionnés par les innombrables attaques terroristes et autres affrontements intercommunautaires, dont le massacre de plus de 200 personnes à Yirgou en janvier 2019, et, pendant que le pays se prépare à organiser des élections législatives le 22 novembre 2020, les populations assistent impuissantes à de nouvelles tueries. A titre d’exemple, on peut citer les cas suivants :

✓ Le 02 mars 2020, peu après la prière musulmane de 14h00, un groupe de VDP appuyé par des FDS apparemment venus de Djibo ont encerclé le village de Sicè, dans la commune de Pobé Mengao. Ce groupe, après avoir pris la majorité des gens à la mosquée, est allé de concession en concession pour finalement regrouper les 20 personnes dont les noms suivent : Dicko Abdoulaye, conseiller municipal, 50 ans ; Dicko Hamadoun, fils de Dicko Abdoulaye, 30 ans ; Dicko Hamadoun, 44 ans ; Dicko Idrissa, 63 ans ; Dicko Hamadoun Idrissa, 38 ans ; Dicko Harouna, 56 ans ; Dicko Hassane Harouna, 34 ans ; Dicko Djibril Harouna, 19 ans ; Dicko Mikaïlou, 50 ans ; Dicko Hamadoum Mamoudou, 30 ans ; Cissé Souaibou Adama, 33 ans ; Cissé Haadou, 68 ans ; Cissé Hamadoum Hassane, 37 ans; Cissé Boureima, 46 ans ; Cissé Abdoul Salam, 67 ans ; Sawadogo Soumsoré, sourd-muet, 45 ans ; quatre personnes toute issues de la même famille Tamboura. Ces personnes ont été toutes exécutées le même jour à la sortie du village sans autre forme de procès.

✓ A Namisigma, le 03 mai 2020, aux alentours de 10 heures du matin, Michailou Dicko, Ibrahim Dicko, Moussa Dicko, Oumarou Hall, Issa Boly, Ousmane Sita, Hassane Sondé, Hamadoum Dicko et Idrissa Dicko, soit 09 personnes qui abreuvaient leurs animaux au puits de Boulsi Baogo ont été froidement exécutées par les VDP à bord de 07 motos et armés de kalachnikov, dont certains ont été identifiés comme étant Zato Sawadogo, Nazilguiba Bamogo, Yoro Ouédraogo, Yembila Bamogo, Tasséré Sawadogo, Francis Sawadogo, Monré Ouédraogo, Prospère Sawadogo, Moumouni Sawadogo, Lassané Sawadogo, Mahamoudo Sawadogo et Pascal Sawadogo.

✓ Le même jour, à Namoungou village à une trentaine de km de la ville de Fada N’gourma, 02 jeunes transhumants venus acheter du couscous traditionnel sont arrêtés et tués par des FDS à la sortie du village.

✓ Entre le 1er et le 05 mai 2020, Diandé Ganni, Diandé Sambo, Diandé Issa, Diandé Moussa, Diandé Yacouba et Diandé Guibrila, Barry Idrissa, Diandé Amadou et son fils Diandé Adama sont interpellés par les VDP de Barsalogho, successivement dans les villages de Kamsé-peulh, Gabou et Sanrgo, sur des allégations de connivence avec des groupes terroristes. Les jours suivants, les corps de Barry Idrissa, Diandé Amadou et de son fils Diandé Adama sont retrouvés criblés de balles et abandonnés au bord de route, en rase campagne, alors que Diandé Moussa, souffrant lors de son interpellation meurt dans sa cellule de garde à vue.

✓ Pendant que les populations étaient déjà tétanisées par la situation ambiante, c’est le tour d’une quarantaine de personnes d’être interpelées le 11 mai 2020 au marché de Pentchangou, à cinq kilomètres de Tanwalbougou par la gendarmerie dirigée par le Commandant Sayouba SIMPORE. Alors que les parents des personnes interpelées s’activaient en vain pour rentrer en contact avec ces dernier, 12 corps saignants, emballés dans du plastique sont déposés à la morgue du CHR de Fada N’Gourma. Le Procureur du Faso près le Tribunal de Grande Instance de Fada, Judicaël KADEBA déclare le même jour que ces personnes sont suspectées de fait de terrorisme et font partie des « 25 personnes » interpelées dans la nuit du 11 au 12 mai 2020 à Tanwalbougou et « ont trouvé la mort au cours de la même nuit dans les cellules où elles étaient détenues ». Les faits ci-dessus évoqués démontrent que des FDS et des VDP, à l’origine en charge de la lutte contre le terrorisme, se distinguent actuellement par leur implication dans la stigmatisation des communautés et des faits graves d’atteintes aux droits humains, fragilisant ainsi le vivre ensemble.

Le ROADDH dénonce des exécutions extrajudiciaires contraires à l’Acte constitutif de l’Union Africaine, à la Charte Africaine des Droits de l’homme et des Peuples, au protocole à la convention de l’Union Africaine (ancienne OUA) sur la prévention et la lutte contre le terrorisme, à la résolution 57/219 de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur la Protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste et à la résolution S/RES/1456 (2003) du Conseil de Sécurité qui exige en son point 6 : « Lorsqu’ils prennent des mesures quelconques pour combattre le terrorisme, les États doivent veiller au respect de toutes les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, les mesures adoptées devant être conformes au droit international, en particulier aux instruments relatifs aux droits de l’homme et aux réfugiés ainsi qu’au droit humanitaire… » En outre, toutes ces exécutions extrajudiciaires de personnes non armées, spécifiquement d’ethnie peule par des FDS et des VDP, démontrent qu’un génocide silencieux est en cours sur ces populations, conformément à la définition telle que contenue dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948 par l’assemblée générale des Nations Unies, en son article 2.

Face à cette situation, le Réseau demande aux autorités du Burkina Faso de :

  1. Prendre des mesures urgentes pour protéger les populations Peulh, contre les exécutions extrajudiciaires afin de mettre un frein au génocide silencieux en cours.
  2. Ouvrir une enquête indépendante afin d’identifier les agents des FDS et les VDP auteurs d’exécutions extrajudiciaires sur les populations, et situer les responsabilités conformément aux lois en vigueur afin que justice soit rendue aux victimes.
  3. Renforcer les capacités des FDS et des VDP en contre-terrorisme dans le strict respect des droits de l’homme.